30. Le rendez-vous
Ma principale attraction pendant le voyage vers Arbroath consista à observer le bras de fer entre Jamie et son neveu. Je savais d'expérience que l'opiniâtreté coulait dans les veines de tous les Fraser. À cet égard, Petit Ian n'était pas en reste, même s'il n'était qu'à moitié Fraser. Soit les Murray étaient eux aussi des têtes de mule, soit les gènes Fraser étaient les plus forts.
Ayant eu amplement l'occasion d'observer ce trait de caractère chez ma propre fille, je m'étais forgé ma petite idée sur le sujet, mais me gardais bien de la faire partager aux deux principaux intéressés. Je gardai donc mes distances, constatant avec amusement que Jamie avait enfin rencontré aussi têtu que lui. Lorsque nous passâmes Balfour, il commençait déjà à avoir l'air hagard.
Ce rapport de force se poursuivit jusqu'au début de la soirée du quatrième jour, lorsque nous atteignîmes Arbroath pour découvrir que l'auberge où Jamie avait eu l'intention de nous loger n'existait plus. Il n'en restait plus qu'un mur de pierre à demi écroulé et deux poutres de charpente calcinées. La route était déserte sur des miles à la ronde.
Jamie contempla les décombres en silence. Il pouvait difficilement nous abandonner au beau milieu de nulle part. Petit Ian, qui eut la sagesse de ne pas en rajouter, se taisait lui aussi, mais je sentais sa carcasse tout entière frémir d'excitation sur sa selle.
— C'est bon, lui dit enfin Jamie. Tu viendras avec nous, mais uniquement jusqu'au sommet de la falaise, tu m'entends ? Tu veilleras sur ta tante Claire.
— Oui, mon oncle, répondit Petit Ian avec un air faussement humble.
Je croisai le regard de Jamie et compris que si Petit Ian devait veiller sur tante Claire, tante Claire, elle, était chargée de surveiller Petit Ian. Je réprimai un sourire et hochai docilement la tête.
Les autres hommes furent ponctuels, arrivant au rendez-vous juste après la tombée du soir. Je crus reconnaître quelques-uns d'entre eux mais la plupart n'étaient que des silhouettes indistinctes. Deux jours s'étaient écoulés depuis la dernière nuit sans lune mais le mince croissant d'argent dans le ciel n'éclairait guère plus que la torche de la cave de Mme Jeanne. Il n'y eut pas de présentations, les comparses saluant Jamie avec des grognements inintelligibles.
Toutefois, une des silhouettes était aisément reconnaissable : une grande carriole tirée par des mulets apparut, guidée par Fergus, avec, à son bord, un petit bout d’homme qui ne pouvait être que M. Willoughby. Je ne l'avais pas revu depuis qu'il avait fait feu sur le mystérieux inconnu.
— J'espère qu'il n'est pas armé ce soir, murmurai-je à Jamie.
— Qui ça ? dit-il en scrutant la pénombre. Ah, tu veux dire le Chinois ? Non, aucun d'entre nous ne l'est.
Avant que j'aie pu lui demander pourquoi, il s'était éloigné pour aider la carriole à faire demi-tour, prête à repartir en trombe vers Édimbourg sitôt chargée.
M. Willoughby descendit de son perchoir en portant une étrange lanterne équipée d'un couvercle percé et de panneaux latéraux coulissants.
— C'est pour faire des signaux ? demandai-je, intriguée.
— Oui, s'interposa Petit Ian en prenant un air important. On laisse les panneaux fermés jusqu'à ce qu'on aperçoive un signal sur la mer. Il tendit la main vers M. Willoughby.
— Donne-moi ça, ordonna-t-il. Je m'en occupe, je connais le code.
M. Willoughby éloigna la lanterne hors de sa portée et secoua énergiquement la tête.
— Tsei-mi dire toi trop grand trop jeune, déclara-t-il
— Comment ça ? s'indigna Petit Ian. Veux-tu me donner ça tout de suite, espèce de petit...
— Il veut dire par là que celui qui tient la lanterne fait une cible idéale, dit Jamie apparaissant derrière lui. M. Willoughby accepte de prendre ce risque pour nous car c'est le plus petit. Tu es trop grand, ta silhouette si détacherait sur le ciel, et trop jeune pour avoir une once de plomb dans la cervelle. Alors une fois pour toutes fais-toi oublier.
II donna une chiquenaude sur l'oreille de son neveu puis alla s'accroupir au côté de M. Willoughby, au bout de la falaise. Il glissa quelque chose à l'oreille du Chinois qui pouffa de rire.
Comme la plupart du littoral écossais, la côte était déchiquetée et la mer parsemée de gros rochers. Je me demandais où le navire français allait pouvoir jeter l'ancre. Il n'y avait pas de baie naturelle, rien qu'une mince bande de grève incurvée au pied d'une falaise escarpée.
Une autre silhouette sombre apparut soudain juste derrière moi.
— Tout le monde est à son poste dans les rochers.
— Bien, Joey, répondit Jamie. Ils ne vont plus tarder. Dis-leur de ne pas bouger avant que j'en donne l'ordre
Nous attendîmes en silence, scrutant la ligne d’horizon, tendant l'oreille au-dessus du bruit des vagues. La grève et la falaise avaient beau être désertes, le comportement prudent et secret de mes compagnons me rendait nerveuse.
— Tout va bien ? demandai-je à voix basse à Jamie
— Je ne sais pas... hésita-t-il. Dis-moi, Sassenach, tu ne sens pas une drôle d'odeur ?
Surprise, je humai l'air autour de moi. Je percevais un certain nombre de choses, notamment des algues en décomposition, l'huile se consumant dans la lanterne, l'odeur acre de la transpiration de Petit Ian près de moi.
— Non, rien de spécial, répondis-je. Pourquoi ?
Il haussa les épaules.
— Non, ça va, c'est parti, déclara-t-il. Tout à l'heure j'aurais juré avoir senti une odeur de poudre.
Il se tourna vers Petit Ian pour donner ses instructions :
— Emmène ta tante dans les buissons d'ajoncs là-bas au loin. Ne vous approchez pas de la carriole. S'il m'arrivait quelque chose, je veux que tu emmènes Claire directement à Lallybroch. Allez-y, maintenant !
— Mais... commençai-je.
— Mais... renchérit Petit Ian.
— On ne discute pas, trancha Jamie.
Là-dessus, il nous tourna le dos, nous signifiant que le sujet était clos.
Penaud, Petit Ian obtempéra et s'éloigna sur le sentier. Je le suivis à contrecœur. Derrière le buisson d'ajoncs, nous découvrîmes un promontoire rocheux d'où l'on voyait la mer. À nos pieds, les vagues se brisaient sur le récif en dessinant des gerbes d'écume blanche dans le gouffre noir. L'espace d'un instant, je crus distinguer un mouvement infime dans les rochers, comme l'éclat d'une boucle de ceinture, mais autrement, les dix hommes cachés plus bas étaient parfaitement invisibles. Je plissai les yeux, tentant d'apercevoir M. Willoughby et sa lanterne, sans succès. Il devait l'avoir enveloppée dans son manteau, la cachant jusqu'au moment opportun.
Soudain, Petit Ian se raidit.
— Il y a quelqu'un ! chuchota-t-il. Vite, cachez-vous derrière moi !
Se plantant courageusement devant moi, il glissa la main sous sa chemise et en sortit un pistolet. Malgré l'obscurité, je voyais son canon luire dans le noir.
Il tendit les deux bras devant lui, pointant son arme sur un ennemi invisible.
— Je t'en prie, surtout ne tire pas ! le suppliai-je.
Je n'osais pas tenter de lui arracher son arme, de peur de faire partir le coup.
— Je te serais reconnaissant de suivre les conseils de ta tante, mon garçon, dit la voix de Jamie dans le noir. Je ne tiens pas à ce que tu me fasses exploser le crâne.
Petit Ian abaissa son arme, ses épaules s'affaissant dans un mélange de soulagement et de déception. Les ajoncs tremblèrent et Jamie apparut devant nous, époussetant les feuilles prises dans ses manches.
— Personne ne t'a prévenu qu'il ne fallait pas porter d'arme sur soi ? demanda-t-il à l'adolescent.
Son ton était calme, tout juste curieux.
— Le simple fait de pointer une arme sur un douanier de Sa Majesté te rend passible de pendaison, expliqua-t-il. Aucun d'entre nous n'est armé. Nous ne portons pas même un couteau de poissonnier, au cas où nous serions pris.
— Oui mais... objecta Petit Ian, Fergus m'a dit qu'ils ne pouvaient pas me pendre tant que je n'avais pas de poils au menton. Je ne risque que la déportation.
Jamie laissa échapper un petit sifflement exaspéré.
— Je suis sûr que ta mère sera ravie d'apprendre qu'on t'a envoyé aux colonies, même si Fergus a raison.
Il tendit la main.
— Donne-moi ça, imbécile ! Il me semblait bien avoir senti de la poudre tout à l'heure. Tu as de la chance de ne pas t'être tiré dans les bourses en le cachant sous ta ceinture !
Avant que Petit Ian n'ait eu le temps de rétorquer, je m'écriai :
— Regardez, là-bas !
Les voiles du lougre français ne formaient qu'une faible tache pâle à la surface de la mer.
Jamie ne regardait pas dans la direction du bateau, mais fixait un point en contrebas, où plusieurs rochers étaient entassés sur la grève. Suivant son regard, je distinguai une faible lueur : la lanterne de M. Willoughby.
Un bref éclat de lumière illumina les rochers humides pendant une fraction de seconde. La main de Petit Ian se referma sur la mienne et nous retînmes notre souffle, comptant mentalement jusqu'à trente.
Un deuxième éclat de lumière illumina les embruns.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? demandai-je.
— Quoi donc ?
— Là, sur la plage. Lors du signal, il m'a semblé voir quelque chose à demi enfoui dans le sable. On aurait dit...
Le troisième éclat survint et, quelques instants plus tard, une autre lumière, bleue celle-ci, lui répondit depuis le navire.
Trop occupée à observer le bateau, j'oubliai ma vision, qui semblait n'être rien d'autre qu'un tas de vieux vêtements abandonnés sur la grève. On devinait des mouvements à bord. Il y eut un bruit de masse tombant dans l'eau.
— Avec la marée montante, la marchandise va dériver jusqu'à nous, annonça Jamie. Elle sera sur la plage dans quelques minutes.
Cela résolvait le problème de l'ancrage du navire. Mais comment effectuaient-ils le paiement ? J'étais sur le point de poser la question quand un cri retentit, suivi d'un vacarme épouvantable sur la plage.
Jamie bondit aussitôt vers le buisson d'ajoncs, suivi de Petit Ian et de moi-même. On ne voyait pas grand-chose, mais la grève en contrebas semblait sens dessus dessous. Des silhouettes noires se bousculaient et roulaient sur le sable, leurs mouvements rythmés par des cris et des imprécations. Puis j'entendis :
— Halte ! Au nom de Sa Majesté ! Mon sang se glaça.
— Les douaniers ! gémit Petit Ian.
Jamie lança un juron en gaélique puis, mettant ses mains en porte-voix, hurla :
— Eirich 'illean ! Suas am bearrach is teith ! Se tournant vers nous, il ajouta :
— Filez ! Vite !
Au vacarme s'ajouta un bruit d'éboulis. Soudain, une silhouette noire surgit du bord de la falaise devant moi et s'éloigna dans l'obscurité au pas de course. Elle fut imitée par une autre un peu plus loin.
Un cri aigu s'éleva dans les ténèbres.
— C'est M. Willoughby ! s'écria Petit Ian. Ils l'ont eu !
Faisant mine de ne pas entendre Jamie qui nous enjoignait de prendre la fuite, nous nous penchâmes au-dessus de la falaise. Plus bas, la lanterne avait roulé au sol. Un de ses panneaux avait été arraché et un rayon de lumière s'étalait sur le sable, dévoilant les tombes vides où les douaniers s'étaient enfouis pour se cacher. Des silhouettes sombres se débattaient dans les monticules d'algues échouées sur la grève. Parmi elles, on en distinguait une qui tenait à bout de bras un petit homme gesticulant.
— Je vais le délivrer ! s'écria Petit Ian dans un élan chevaleresque.
Jamie le rattrapa de justesse par le col.
— Fais ce que je t'ai dit et conduis Claire en lieu sûr. Petit Ian me lança un regard incertain puis me prit le bras. Mais je me plantai solidement en terre, refusant de bouger. Jamie, lui, courait déjà le long de la falaise, s'arrêta quelques dizaines de mètres plus loin, mit un genou en terre et arma le pistolet.
La détonation se perdit dans le vacarme de la plage. En revanche, elle eut un résultat des plus spectaculaires. La lanterne explosa dans une pluie de gouttelettes d’huile incandescente, plongeant soudain la plage dans l'obscurité et interrompant les cris.
Ce silence fut bientôt rompu par un hurlement de douleur et d'indignation. D'abord aveuglée par le feu d'artifice de la lanterne, j'aperçus une autre lueur, composée de petites flammèches qui semblaient se déplacer de manière erratique. Lorsque mes yeux s'accoutumèrent aux ténèbres, je compris qu'il s'agissait de la veste d'un homme qui se débattait comme un forcené pour tenter d'étouffer les flammes qui dévoraient l'étoffe.
Les ajoncs s'agitèrent violemment tandis que Jamie se précipitait vers la plage et disparaissait dans le gouffre noir.
— Jamie ! m'écriai-je.
Petit Ian tira plus fort sur mon bras, manquant de me faire tomber à la renverse.
— Venez, tante Claire ! Ils ne vont pas tarder à arriver. De fait, j'entendais des cris se rapprocher. Les douaniers escaladaient les rochers. Je retroussai mes jupes suivis le garçon tant bien que mal à travers les hautes herbes.
J'ignorais où nous allions, mais Petit Ian, lui, semblait le savoir. Il avait ôté son manteau et je me guidais au reflet de sa chemise blanche qui flottait comme un fantôme dans les taillis d'aulnes et de bouleaux.
Je parvins à le rejoindre au moment où il freinait net au bord d'un ruisseau.
— Où sommes-nous ? haletai-je.
— La route d'Arbroath est juste de l'autre côté, répondit-il. Ça ira, ma tante ? Vous voulez que je vous porte ?
Je déclinai poliment son offre, me gardant de lui dire que je devais peser autant que lui. J'ôtai mes souliers et mes bas et j'entrai dans l'eau glacée jusqu'aux genoux, sentant la vase glisser entre mes orteils.
Une fois de l'autre côté, j'acceptai cette fois en grelottant le manteau que Petit Ian me proposait galamment. Nous trouvâmes bientôt la route, le vent soufflant dans notre visage. Mon nez et mes lèvres furent bientôt insensibilisés par le froid. Toutefois, le vent nous fut salutaire : il nous porta le bruit des voix des hommes qui attendaient plus loin bien avant que nous tombions sur eux.
— Des nouvelles de la falaise ? demandait l'une d'elles. Petit Ian s'arrêta brusquement et je lui rentrai dedans.
— Pas encore, répondit une autre voix. J'ai cru entendre des cris tout à l'heure, mais le vent a tourné depuis.
— Tu ferais mieux de remonter sur ton arbre, Oakie, s'impatienta la première voix. Si un de ces fils de pute parvient à s'échapper de la plage, on le coincera ici.
— Mais il fait froid là-haut ! On n'aurait pas pu attendre dans l'abbaye avec les autres ?
— Si, mais on aurait moins de chances d'attraper un gros poisson. Pense à tout ce que tu pourras faire avec ta prime de cinquante livres !
— Mouais... convint le dénommé Oakie. Mais je ne comprends toujours pas comment on est supposé reconnaître un rouquin dans le noir.
— Saute sur tout ce qui passe, pauvre cloche ! On triera les roux plus tard.
Accroupi dans le fossé au bord de la route, Petit Ian semblait hypnotisé par la conversation. Je le secouai vivement par la manche et il sembla s'extirper de sa transe. Nous nous enfonçâmes à quatre pattes dans les buissons.
— Il y en a d'autres qui attendent tapis à l'abbaye d'Arbroath, me chuchota-t-il au cas où je n'aurais pas encore eu compris. C'est là que les contrebandiers étaient censés se retrouver si les choses tournaient mal sur la plage.
— Elles pourraient difficilement avoir tourné plus mal, rétorquai-je. Qu'a crié ton oncle tout à l'heure depuis la falaise ?
— Il a dit : «Tirez-vous, les gars ! Remontez sur la falaise et filez ! »
— Judicieux conseil. Apparemment, ils l'ont suivi. La plupart des hommes ont pu s'enfuir.
— Sauf M. Willoughby et oncle Jamie, répondit Petit Ian.
Il lança des regards désemparés autour de nous, ne sachant plus quoi faire. Il n'arrêtait pas de se passer la main dans les cheveux, les lissant en arrière dans un geste qui me rappelait son oncle et m'agaçait au plus haut point.
— Écoute, chuchotai-je. On ne peut rien faire pour eux pour le moment. En revanche, il y a peut-être quelque chose à faire pour les autres avant qu'ils ne se laissent piéger à l'abbaye.
— Oui, c'était justement ce que je me demandais. Dois-je vous conduire à Lallybroch, comme oncle Jamie me l'a ordonné, ou tenter de rejoindre l'abbaye pour prévenir les hommes ?
— Va à l'abbaye, tranchai-je. Le plus vite possible.
— Mais... je ne peux pas vous laisser seule ici, ma tante ! se récria-t-il. Oncle Jamie a bien dit...
— Il y a un temps pour obéir aux ordres, Ian, l'inter-rompis-je, et un autre pour prendre des initiatives. Cette route conduit bien à l'abbaye ?
Il se contenta de hocher la tête sans m'objecter que j'étais précisément en train de lui donner des ordres. Il se redressa sur la pointe des pieds, prêt à piquer un cent mètres.
— Coupe à travers champs et file droit à l'abbaye, l'instruisis-je. Je vais suivre la route et tenter de détourner l'attention des douaniers. On se retrouve à l'abbaye. Ah, attends, tu ferais mieux de remettre ton manteau.
Je lui rendis son vêtement à contrecœur, répugnant à retrouver le froid mordant mais aussi à me défaire de ce dernier lien avec une présence humaine amicale. Je rattrapai une dernière fois Petit Ian par le bras.
— Ian ?
— Oui ?
— Tu feras attention, hein ?
Prise d'une soudaine impulsion, je me haussai sur la pointe des pieds et déposai une bise sur sa joue. Surpris, il tressaillit puis sourit et disparut, une branche d'aulne se rabattant violemment derrière son passage.
Il faisait décidément très froid. On n'entendait plus que le sifflement du vent dans les buissons et le grondement lointain des vagues. Je serrai mon châle contre mon cou et marchai d'un pas résolu vers la route.
Devais-je faire du bruit pour leur signifier ma présence ? Autrement, ils risquaient de me sauter dessus sans injonction préalable car, dans le noir, ils pouvaient aisément me prendre pour un contrebandier en fuite. D'un autre côté, si je marchais en fredonnant un petit air niais pour leur indiquer que j'étais une faible femme sans défense, ils pouvaient aussi rester tapis dans le noir en attendant que je passe mon chemin sans les voir, ce qui n'était pas le but recherché. Je me penchai sur le bord de la route et ramassai une pierre. Puis, le sang glacé, j'avançai dans le noir sans dire un mot.